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« Nolite te salopardes exterminorum »


La servante écarlate, Margaret Atwood


« N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. » Cette citation de Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe résume à elle seule le point de départ du récit. Ce livre met en scène le passage progressif d’une démocratie au profit d’une société autoritaire – la République de Gilead – en lieu et place des actuels États-Unis à la fin du XXème siècle. Cette théocratie militaire émerge suite à une crise environnementale désastreuse (causant une stérilité quasi-générale) et est organisée par un découpage strict en castes[1].




Une fois les femmes lentement dépossédées de leurs droits (travail, propriété notamment), elles sont classées selon différentes catégories :


  • Celles ayant une position plutôt privilégiée : les Épouses (femmes de haute société, mariées aux Commandants) et les Tantes (femmes ménopausées ou stériles qui participent à l’endoctrinement des Servantes écarlates)


  • Celles au statut intermédiaire et instable : les Servantes écarlates, valorisées pour leur fertilité mais aussi dénigrées. Symbolisées par la couleur rouge, elles peuvent à tout moment devenir des Non-femmes et être envoyées aux Colonies, en cas de rébellion, ou d’échecs répétés de grossesse. Elles sont la propriété de Gilead[2].


  • Celles de classe inférieure : les éconofemmes (mariées à des hommes pauvres) et les Marthas (servantes domestiques)


L’héroïne Defred appartient à cette seconde catégorie[3]. Comme dans toute dystopie, on s’intéresse à l’individu[4]. La dictature et l’aspect désormais anodin de perte de liberté s’incarnent à travers un regard fouillé et intime. Mais le plus terrible reste le côté hautement convaincant de cette « fiction spéculative ». Atwood s’était donné pour principe de n’inclure « rien que l’humanité n’ait déjà fait ailleurs ou à une autre époque ». Elle parvient ainsi à rendre l’improbable et l’absurde plus que plausibles, intégrés à un quotidien devenu banal. Nul besoin de faire évoluer les personnages dans un futur asservi par les technologies pour rédiger un récit d’anticipation sensé.



Le récit est quant à lui hautement fragmenté et fragmentaire - génie ou parfois faiblesse de l’auteure, c’est au lecteur de trancher. On est confronté à différents espaces/temps qui s’entremêlent sans cesse : si dans le jour présent, Defred se comporte parfois comme une somnambule, la Nuit -temps de relative liberté- elle nous livre les souvenirs d’une époque où les femmes étaient libres. L’histoire prend des voies dérivées, se dévoile graduellement ; du discours direct, sans guillemets, s’introduit soudainement dans la narration (peut être s’agit-il d’une reconstitution et non pas forcément de l’entière vérité).


Enfin, la force de l’écriture d’Atwood réside dans les non-dits : ainsi si le véritable nom de Defred n’est jamais évoqué on peut en revanche le déduire : June.

Dans tous les cas, vous l’aurez compris La Servante écarlate est un récit à facettes multiples. Terrifiant, engagé et sombre, ce livre ne laisse personne indifférent.




[1] : Il s’agit d’une société pyramidale qui concerne aussi bien les hommes que les femmes, c’est pourquoi pour moi ce récit n’est pas uniquement féministe.


[2] : Comme en témoigne le tatouage qu’elles portent à la cheville « quatre chiffres et un œil »


[3] : « Je suis vivante, je vis, je respire, j’étends la main, ouverte, dans le soleil. Ce lieu où je suis n’est pas une prison, mais un privilège, comme disait Tante Lydia qui adorait les solutions extrêmes. » (p21)


[4] : Plus spécifiquement à un individu inadapté au monde supposément utopique qui l’entoure.



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