Arno Bertina: entre photographie et écriture.
- Marie Jeanne
- 10 mai 2016
- 4 min de lecture

lesinrocks.com
Lorsque Bertina, assis confortablement sur une chaise un peu trop basse pour son mètre quatre-vingt, le regard rivé vers la salle surchargée d’étudiants, inspira un peu trop fort, je due me forcer à maintenir mon stylo bien droit, pour ne rater un seul mot sortant de la bouche d’un aussi charmant auteur de littérature contemporaine. Seulement, et il fallait s’y attendre, lorsqu’un grand-blond, passionné de littérature vous regarde dans les yeux, un sourire plein d’amabilité aux lèvres, il est difficile d’écrire des pages et des pages de notes au sujet d’une conversation dont le souvenir ne vous reste qu’en vision. Attention, je n’étais plus en mesure de tenir un stylo correctement droit, certes, mais ce n’est pas pour autant que je n’en ai rien écouté. J’ai tout entendu, et par deux fois – petit épigraphe pour mon dictaphone préféré. Je n’étais donc plus seule face aux superbes rétines azurées de monsieur Bertina, mais nous étions deux, aux aguets, près à transcrire des mots dont la simple présence était due à l’organisation d’un festival au cœur de l’Auvergne.
C’est le 30 mars dernier que j’ai pu assister à l’élaboration d’une Check-list bien surprenante d’Arno Bertina en personne. Bien que le mélange musique, bande dessinée, roman classique et roman contemporain m’ait un peu fait grimacer, c’est cependant de tout autres propos qui ont relevés mon attention. C’est, à peine âgé de 41 ans, que l’auteur aborde la question de la maturité, sans pourtant en donner le sens propre. Entre deux éloges de morceaux de jazz et quelques interruptions – plus ou moins cordiales – de sa collègue Liliane Giraudon, il avouait n’avoir aucune règle concernant l’inspiration, mais qu’il se contentait de piocher de gauche à droite et, ainsi, il tentait d’établir un lien le plus poignant possible, afin de donner du cœur à ses écrits. Alors je ne sais pas en ce qui vous concerne, mais lorsqu’on utilise les mots « poignant », « opéra » et « littérature » dans la même phrase, cela créé chez moi une démangeaison qui remonte le long de ma colonne vertébrale et qui me force presque à crier : « Vas-y « Berti », donne tout ce que tu as ! » Mais non. « Berti » est resté très sage, et nous a expliqué que, peu importe l’inspiration qu’il prenait, rien n’importait plus pour lui que la maturité d’un écrit. Jeunes auteurs ou écrivains séniles, prenez notes : peu importe votre maturité, prenez soin de ce que vous écrivez, l’impact n’en sera que meilleur. Mais la maturité n’est pas la seule lubie de Bertina. Ce qu’il aime lui, c’est le côté légèrement schizophrène des auteurs contemporains, capables en cours de route de ne pas respecter une sorte de ligne de conduite fixée au préalable, mais de la faire évoluer quitte à en recevoir l’exact opposé. « Il y a peu d’écrivain capable d’être dans un tel rapport de force avec l’assignation à ce qu’ils sont, au point d’oublier ce qu’ils pensent et de rentrer complètement dans les raisons et pensées de leurs personnages . » dit-il. Et il ajoute : « moi je trouve ça assez magique ».
D’ailleurs à la dénomination « Auteur » il faudrait sans doute ajouter « photographe amateur ». Et c’est son père – avec l’aide iconographique du photographe Henri Quartier Bresson – qui l’initie à la photographie classique, avec des gouts très structurés et un léger penchant pour capturer des paysages et monuments historiques. Il nous confit alors, que ce qui l’intéresse dans cette forme d’art, c’est le temps qu’il lui a fallu pour « sortir de ces gouts très classiques et apprécier un geste photographique beaucoup plus bordélique ». « Berti » insinuerait-il qu’il aime l’ordre et l’organisation ? Et bien il répond : « il y a deux choses dans l’art : d’un côté il y a une force d’ordre où les artistes veulent à tout prix être dans une forme esthétique classique, et poser les choses. Et puis il y a aussi un désir d’y mettre beaucoup plus de sauvagerie et de ramener une espèce d’énergie qui déstructure un peu les choses et les remettent en mouvement. Pour moi écrire c’est essayer d’aller du côté d’une sauvagerie où on accepte le mouvement et les métamorphoses. Mais je lutte constamment contre mon côté organisé et dans la marge ».
Enfin, je me dois de vous avouer que la beauté de l’auteur est quasiment équivalente à celle de ses mots. Je dis « équivalente » puisque son écriture reste d’une beauté bien supérieure à celle de ses yeux. Un style d’écriture plus que décalé avec les codes de la normalité, des points absents, des personnages aussi épatants qu’attachants, mêlés à une aventure mystérieuse et improbable. Si vous n’avez pas peur de perdre pied, laissez-vous emporter par la magie de Bertina. Et comme le dis si bien ce dernier, « Quand on aime la littérature, il y a plein d’œuvres comme ça qui nous envoient des petits signaux de leurs étalages ». Espérons que ces photographies nous envoient le même plaisir que ce dire.

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